This poem was written in French by Louis Carl Saint Jean to celebrate the memory of those who died in the August 14, 2021 earthquake that struck southern Haiti. It was reported that over 2,000 people lost their lives as a result on the 7.2 magnitude quake.
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L’hécatombe du mois d’août
Quel est ce claquement, ce chambard, ce bastringue
Qui a asphyxié notre douce méringue
Pour nous offrir plutôt cette bizarre danse
Tant au Sud, aux Nippes que jusqu’à la Grand’Anse ?
Ce samedi matin, avec désinvolture,
Promptitude et furie, sourde, Dame nature
Nous a joué un tour, et, selon sa coutume,
Déchiqueté le cœur déjà plein d’amertume.
Jésus, Marie, Joseph ! Quel drame ! Quel effroi !
Mais pourquoi derechef, cette trop lourde croix,
Ce samedi matin, jour du « baissez-levez »,
A-t-elle fait chez nous ce moult de trépassés ?
Ciel ! où sont-ils passés tous les « Pater Noster »
Que nous t’avons offerts pour garder notre terre
De ce banc de failles, de cette apocalypse
Rendant chaque syllabe une bizarre ellipse ?
J’entends tous les sanglots – Ô douleur infinie ! –
Qui ont blessé l’azur d’Aquin à Jérémie,
De L’Asile aux Cayes, de Rousseau aux Roseaux
Et réduit mon cœur « en miettes morceaux ».
Oh ! damnés sont-ils nés, ainsi sont-ils partis
Avec tous leurs rêves qu’ils n’avaient jamais dits
Et tous leurs cauchemars qu’ils ne diront qu’aux anges
Qui les ont accueillis chantant mille louanges.
Quel drame ! Ô Quatorze août ! Ce tremblement de terre
A tout bouleversé, rendant impur l’éther
Tant au Sud, aux Nippes que jusqu’à la Grand ’Anse.
Au loin, m’est parvenu le reflet du silence,
De la calamité, du chagrin et du deuil
Qu’il a fait répandre sans cœur de seuil en seuil.
Ô J’ai cru entendre, mû par ma peine extrême,
Chaque air de leur âme tanguant dans mon cœur blême.
Qui pourra dénombrer, en ce jour ou un autre,
Pour la postérité, sous ce ciel qui est nôtre,
Ceux qui nous ont laissés le cœur noyé de larmes,
Pleurant leur vain départ, raillant d’hier les alarmes ?
Prieront-ils pour ceux qui, en partant ce matin,
Leur avaient proposé des jours sans lendemain,
Offert le « Bon Dieu bon » dès leur première aurore
Jusqu’au dernier instant de leur si triste mort ?
Après s’être enivrés de ce subtil opium
Durant leur existence, ils sont des milliers d’hommes,
De femmes et d’enfants à nous dire leurs adieux
Aujourd’hui, en marche vers de tout nouveaux cieux.
Mon âme devant eux est comme un puits de pleurs,
Écoutant leurs cris sourds, le son de leurs malheurs
Le bruit de leurs « kwi » brisés tant par ce séisme
Que par d’un grand nombre – hélas ! – l’éhonté égoïsme.
À l’heure des bilans, est-ce la faute à qui ?
Est-ce celle de ces morts, lesquels, pour seul acquis,
N’ont eu en ce monde que la paix de la tombe
Que leur ont construite gauchement, tout en trombe
Ces hommes sans âme, ces ciseleurs de bourdes,
Qui n’ont eu pour guides que leurs abjectes gourdes ?
Il ne nous reste plus que leurs creuses prières
Que méprise même l’écho des cimetières.
Hélas ! Notre-Dame ! Ils sont morts sans « ochan »,
Loin de leur masure, en route vers leur champ,
Leur houe sur l’épaule et leur pioche à la main,
Couronnés de misère, bravant le lendemain.
Ils sont tous morts debout. On ne les compte plus :
Leur salaire et leur prix sont tous superflus,
Car bon nombre d’entre eux s’appelaient Lériva,
Bien-Aimé, Lovana, Zius ou Jésula.
Ils s’en sont tous allés, ces innombrables morts,
Je ne le doute point, l’être plein de remords,
Aussi loin que le vent ou l’aile d’une brise
Voudrait guider leurs pas vers une vieille église.
Qui aurait pu sabrer ce tremblement de terre
Pour ainsi nous gracier du « tremblement de taire » ?
Comme je pense à eux ! Au « pays sans chapeau »,
Peut-être obtiendront-ils des élus le repos !
Christ ! Ils sont des milliers, tous venus d’Haïti,
Un pays situé bien loin du paradis
Pour nombre de ses fils. Les accueilleras-tu
En ton doux sein ? Ils t’ont tant attendu
Et ne t’ont jamais vu. En cet instant final,
Qui les conduira vers ce palais de cristal
Qu’on leur avait promis avec loi mais sans foi ?
Ô Dieu, aie pitié d’eux : je t’implore cent fois
Comme je pense à toi, perle qui m’as vu naître,
Toi qui, sort après sort, sembles faire renaître
L’esprit d’un Quatorze-Août lointain et non défunt
Où tous les conjurés avaient fait un à un
Ce fidèle serment : « Vivre libre ou mourir ! »
Ce cri de liberté poussé par nos Martyrs
Te maintiendra debout. De nos rêves chacun
Taira ce Quatorze-Août Deux mille vingt et un.
Louis Carl Saint Jean
24 août 2021
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